Nous voici donc en Géorgie. Pour dire vrai, cela fait déjà près d'un mois que nous sommes ici, à Batumi, à attendre que notre camera soit réparée. Cela nous a laissé le temps de parcourir la ville dans tous les sens et de repérer quelques bonnes adresses. Nous vivons actuellement chez Giorgi, un jeune régisseur de théâtre que nous avons rencontre via un réseau de connaissances lié à internet. L'appartement est modeste, certes, mais nous convient fort bien. Il s'agit d'un petit logement au premier étage d'une vieille bâtisse dans laquelle on pénètre par un escalier sombre donnant sur la rue. Partout sur les murs pendouillent des fils électriques crasseux convergeant vers une armoire électrique cabossée fixée dans l'encadrement de ce passage. Une fois au sommet nous dominons une cour intérieure sur laquelle donnent toutes les fenêtres des maisons alentour. Les chats des environs semblent revendiquer les toitures de tôles et les agencements éclectiques qui constituent les façades de ce petit havre paisible.
Au centre de la cour un chien enchainé ne semble tolérer dans son environnement proche que ses maitres et ses voisins félins. Il a d'ailleurs pris pour habitude de nous aboyer méchamment dessus dès que nous apparaissons dans son champ de vision, c'est à dire au moins deux fois par jour. Il faut dire que l'on entre chez Giorgi par une porte donnant sur un balcon un peu déglingué duquel on domine toute la cour intérieure. Difficile dans ces condition d'échapper à la vigilance du chien.
L'appartement en soit n'est pas très grand. Un couloir étroit dans lequel a été aménagée une salle d'eau dont la douche est inutilisable à cause d'un siphon de sol fuyant. Seul un lavabo et une cuvette de toilette sans lunette reste opérationnelles donc, du moins quand le réseau d'eau de la ville a suffisamment de pression pour alimenter l'étage, autrement dit en fin de soirée uniquement. Le reste du temps nous devons faire sans eau. Au fond du couloir, dissimulée derrière un rideau, se tient la salle de séjour. Une table, des chaises, un vieux buffet et un canapé, voilà pour le mobilier. Un antique téléviseur en noir et blanc occupe un angle de la pièce, entre la porte-fenêtre qui donne sur le balcon et l'enceinte un peu déglinguée sur laquelle sont connectés diverses sources de musique.
C'est ici que tout se passe, le lieux de vie de l'appartement. Les amis saltimbanques de Giorgi vont et viennent, écoutent de la musique sur un discman, discutent passionnément autour d'un verre de vodka ou de « chacha », l'alcool local, ou regardent des émissions sur la vieille télé. Jusqu'à très tard les rencontres s'enchainent. Il faut dire aussi que la rue est très animée. La présence juste en face d'un établissement turc à la réputation de bordel mais s'affichant comme un restaurant-music-hall contribue nettement à l'atmosphère bruyante du quartier.
Jusqu'à près de minuit des taxis se relaient pour déposer devant l'établissement des jeunes femmes au physique avenant dont la présence semble convenir à de nombreux clients en provenance du pays voisin. En découle donc un ballet de véhicules klaxonnant et vrombissant jusqu'à pas d'heure, le tout sur fond d'éclat de voix et de musique techno orientale riche en décibels.
Ici le français a la côte. Cela nous a étonné même de trouver autant de personnes capable de nous comprendre. Cela nous arrange, il faut bien le reconnaitre, car l'apprentissage du géorgien ou du russe, deux langues parlées dans le pays, est un nouveau défit à relever. Nous nous y penchons bien entendu, ne serait-ce que pour pouvoir communiquer par la suite dans les autres pays de l'ex-union soviétique que nous traverserons, mais la possibilité de pouvoir apprendre avec des gens qui nous corrigent dès que l'on se trompe est un avantage certain.
Ici les gens sont résolument tournés vers l'Europe, même si les avis des uns et des autres concernant l'adhésion de ce pays à l'union semble partagés. Les récents événement survenus entre la Géorgie et la Russie ont fortement contribuer à forger un sentiment "anti russe" dans la population. Paradoxalement, toutefois, les géorgiens font clairement la distinction entre le peuple russe et sa culture, qu'il respectent et admirent généralement, et les dirigeant de ce pays que tous déprécient fortement.
Batumi est une ville côtière dont l'économie est tournée vers le tourisme. Les chantiers sont nombreux, essentiellement destinés à rénover d'anciennes façades, belles et anciennes, ornées de moulures et de balconnets. Les squares sont plantés de palmiers et d'énormes arbres ornementaux ombrageant les bancs disposés ça et là. La priorité semble aller à l'embellissement de la ville, alors que la voirie est généralement en très mauvais état et que le littoral est régulièrement souillé par les dégazages des pétroliers qui mouillent non loin ou par les déchets abandonnés la par les riverains. Le réseau d'eau potable est lui aussi assez vétuste.
Certaines rues bénéficient d'aménagements destinés à équiper les foyers en gaz naturel et c'est grâce à ces travaux que nous avons pu observer que les eaux usées sont directement rejetées dans des canaux serpentant sous les rues et se déversant dans le port voisin. Comme vous vous en doutez cette eau dégage une odeur nauséabonde et les conduites d'eau potables, souvent trop peu pressurisées, passent dans ces mêmes canaux. Certains sites internet mettent en garde contre la possibilité que les eaux usées puissent entrer dans les conduites d'eau potables et déconseillent vivement la consommation de l'eau du robinet.
Les gens cependant semblent s'en accommoder et sont des plus cordiaux. Le coût de la nourriture est ici plus bas qu'en Turquie, surtout dans les petites échoppes qui proposent le fromage, le pain ou la bière à des prix très attractifs. Nous avons même pu prendre l'habitude, malgré notre budget serré de deux euros par jour, de prendre tous les midis deux spécialités locales par personne. On appelle cela "Rhadjapouri", traduction phonétique française du nom de ce met aux allures de chausson au fromage, délicieux et suffisamment consistant pour nous permettre de tenir presque la journée entière pour un euro par personne.
La météo ici devient clémente et nous sentons assez clairement l'approche de l'été. Contrairement à Hopa, où nous avons du repasser avant de rentrer en Géorgie, le climat de Batumi a l'air assez ensoleillé, même s'il est fréquent de voir quelques goutes de pluies tomber en fin de nuit ou dans la matinée. Ça et là des néfliers et des cerisiers commencent à produire leur fruits, ce qui n'est pas sans nous rappeler les premières semaine de notre voyage en Italie où nous avions pour habitude de nous repaitre goulument des fruits délaissés par les exploitants à cause des trop abondantes chutes de pluie survenues à l'époque.
Et oui, nous avons fêté notre premier anniversaire de voyage ! Un an à parcourir l'Europe et la Turquie, prés de neuf-mille kilomètres parcourus. Un cap dans cette aventure, surtout qu'à l'avenir la pression de l'échéance des visas nous obligera à conserver un rythme de croisière plus soutenu et plus constant. La Géorgie est le dernier pays où nous pouvons flâner avant longtemps, et dans la mesure où nous devons calculer notre progression de manière à ne pas trouver la frontière chinoise fermée pour cause d'enneigement trop important, nous allons sans doutes passer du temps ici...
Déjà nous avons pris quelques habitudes. Presque tous les jours nous nous rendons dans les locaux de la bibliothèque municipale, plus précisément dans l'«American Corner», un espace réservé à la culture américaine, financé par les USA et dans lequel il est possible d'utiliser des ordinateurs connecté à internet, et ce gratuitement. Nous en profitons donc pour ajouter un peu de contenu à notre site internet et à régler à distances les quelques problèmes logistique.
Nous avons également tissé un petit réseau de contacts. Sophie tout d'abord, rencontrée par hasard dans un parc de la ville, nous a énormément aidé lors de nos premiers jours à Batumi, notamment pour nous trouver des endroits où dormir en ville.
Levan ensuite, contacté par le biais de couch-surfing, il nous a présenté à Giorgi. Grâce à ces deux personnes, nous avons pu élargir nos relations dans la ville et donner des entrevues à divers journaux et chaines de télévisions locales d'Adjara.Nous avons aussi rencontré Vitali, le dirigeant d'un foyer pour sans domicile fixe qui se montra fort accueillant, Lia, la responsable de l'« American Corner », et bien-sur tous les amis de Giorgi, Tamuna, Irakli, Keti, Vado, Nino et bien d'autres.
Nous passerons vraisemblablement le printemps et une partie de l'été ici, avant de poursuivre notre voyage vers l'Est. Nous ne connaissions pas grand chose de la Géorgie avant d'y venir et, pour l'instant, nous n'en avons vu qu'une infime partie. Les possibilités pour nous de séjourner en ville à l'avenir ne seront peut-être pas aussi fréquentes que nous le souhaiterons, nous allons donc profiter de ces semaines dans cette jolie ville postée entre Caucase et mer noire.
