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Géorgie - Escapade en Adjara

récits de quelques une de nos aventures. / Several stories About our adventures.

Géorgie - Escapade en Adjara

Messagede Thierry le Sam 15 Mai 2010 19:36

Carnet de voyage : Escapade en Adjara (Géorgie)

Voila, la longue est agréable période d'attente à Batumi touche à sa fin. Nous nous sommes résigné à abandonner pour quelques mois notre caméra aux bons soins du service de maintenance SONY d'Istanbul afin que nous puissions la récupérer plus tard en parfait état de marche. A la place, Killian a ramené de la mégapole turque le nouvel appareil photo que nous avons acheté récemment en remplacement de l'ancien qui, lui aussi, avait mal passé la première année d'aventure. C'est donc par des images fixes que nous conserverons les souvenirs de notre traversée de la Géorgie. Un moindre mal sans doutes, mais un peu frustrant tout de même.

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Petra, une jolie hongroise qui nous a contacté par internet, a osé sauter le pas et a accepté de marcher avec nous pour quelques semaines. Le fait qu'elle parle un peu Russe lui avait dores et déjà permit d'entretenir quelques conversations avec l'entourage de Giorgi, notre hôte de Batumi, et promettait de nous faciliter les choses pour communiquer avec les géorgiens des régions plus reculées. Il faut bien reconnaitre que depuis que nous sommes arrivés dans cette ville côtière nos efforts pour apprendre les langues locales, que ce soit le géorgien ou le russe, n'ont pas été des plus exemplaires. Difficile de s'y mettre cependant lorsqu'à l'appartement tout le monde parle français. Nous avons néanmoins rédigé nos précieux lexiques dans les deux langues, ce qui devrait nous permettre de palier aux besoin les plus rudimentaires.

Nous remercions donc chaleureusement Giorgi et Levan pour leur aide et tout ce qu'ils ont fait pour nous et entamons la sortie de la ville. Au cours de la semaine dernière, afin de changer d'air en attendant le retour de Killian de Turquie, nous avons effectué, avec Petra, une petite randonnée sur trois jours dans les environs de Batumi et c'est par un itinéraire presque identique que nous nous éloignons encore de la ville. Comme toujours, la marche en zone urbaine, bruyante et malodorante, n'est pas une partie de plaisir. Sans doutes cela a-t-il contribué à déclencher l'altercation qui me conduira à me séparer de mes compagnons pendant trois jours.

C'est donc en solo que je m'éloigne de la banlieue de Batumi, évitant sciemment les axes majeurs en déambulant dans les petites routes tortueuses et souvent cabossées qui desservent la multitude de résidences éparpillées dans les collines des alentours. Difficile de se référer à la boussole. Les intersections sont rares et souvent les propriétés privées empiètent généreusement sur ce qui semble être le domaine public, installant même parfois de gros portails métalliques en travers de la route. Il faut signaler aussi que les panneau de signalisation sont extrêmement rares, voire inexistants. Il peut arriver parfois que je remarque des inscriptions manuscrites sur des pans de mur en ruine ou sur des arbres, mais elles sont généralement en russe ou en alphabet géorgien, ce qui ne m'est pas d'un très grand secours.

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C'est donc inévitablement que je me retrouve toutes les dix minutes interpellé par les habitants des diverses propriétés que je traverse. Si mes capacités pour lire sont très limitées, le fait de pouvoir converser oralement offre bien plus de facilités. Les gestes aidant autant que l'article de presse rédigé en langue locale par un journal de Batumi expliquant notre aventure. Très souvent les gens manifestent un vif intérêt et s'empressent de m'offrir une collation. La chaleur et la reprise d'un effort physique après plus d'un mois de glandouille contribuent à me déshydrater à grande vitesse, ces boissons fraiches sont souvent fort appréciées. C'est d'ailleurs à l'occasion de ces invitations multiples que j'ai pu découvrir, en plus des incontournables "Chacha" et "cafés turcs", la "Kompot". Cette boisson sucrée n'a pas grand chose à voir avec la compote que nous connaissons en France. Certes c'est à base de fruits, mais moins sucré et surtout beaucoup plus liquide que le dessert français. Les fruits sont entiers et, souvent, ont perdu leur pigmentation. Servie fraiche, cette boisson est un régal en période de canicule.

C'est en marchant ainsi au gré de mes inspirations qu'à l'approche de la nuit je me retrouve devant la maison d'une famille qui, après quelques tentatives de communication difficiles, m'invite à dormir chez elle. La maison est spacieuse, comporte un étage et des combles aménagées, comme la plupart des résidences des environs. Ici vivent quatre générations. Les grand parents, presque octogénaires, sont entourés de leurs enfants et petits enfants qui, à leur tour, ont contribué à élargir le cercle familial. Le dernier né, qui doit avoir à peine deux ans, joue dans un petit parc plein de jouets, disposé au centre de la pièce. De la cuisine voisine émanent des bruits de casserole alors que la plupart des hommes sont assis sur le canapé d'angle et regardent la télévision. Presque simultanément, ils m'invitent à m'asseoir à leurs côtés et commencent à se tapoter la gorge à coup de pichenettes, signe que j'ai appris à reconnaitre et signifiant qu'une bouteille de chacha allait bientôt arriver sur la table. Fort heureusement, trois voisins à la carrure de rugbymen débarquent alors et s'installent, se servant chacun de généreuses doses de cet alcool maison et contribuant ainsi à faire baisser rapidement le niveau du contenu de la bouteille.

Il convient aussi de signaler une chose: en Géorgie, lorsqu'une bouteille arrive sur une table, que ce soit du vin, de la bière ou de la «chacha», il est pratiquement impossible de quitter la tablée en la laissant ne serait-ce que partiellement vidés. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'à l'approche de la fin d'une bouteille les hôtes ramènent de leur cave quelques litres supplémentaires. Autre détail important: les tablées sont systématiquement présidées par quelqu'un, élevé pour l'occasion au rang de "tamada". Son rôle est d'énoncer, à chaque verre servi, un toast qui peut durer plusieurs minutes. Il convient alors de ne pas boire le grand verre généreusement rempli que l'on vous a servi tant que le toast n'est pas terminé. Dès lors, tous les convives concluent le toast en déclarant simultanément "gaoumardjos !", l'équivalent du "tchin-tchin" de chez nous, et descendent cul-sec le contenu de leurs verres. Autant vous dire qu'à ce rythme le niveau d'alcoolémie monte en flèche ! Fort heureusement, les femmes, restées jusque là dans la cuisine, apportent alors des coupelles d'apéritifs et un plat de riz qui facilitera l'absorption de tout ce liquide.

C'est donc après un bon repas, une douche bien appréciée et une soirée fort sympathique que je passe la nuit dans cette demeure accueillante. La chambre est vaste et je la partage avec deux autres personnes. Au matin, alors que le soleil est déjà haut, je me remet en marche après avoir remercié mes hôtes pour leur hospitalité.

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Comme hier, je tâche de progresser vers le nord est en évitant les axes routiers majeurs. Les zigzags entre les propriétés se succèdent, ponctués ça et là de traversés de jardins et de cimetières envahis de fougères. Peu à peu les maisons se font plus dispersées, me facilitant ainsi le choix du cap suivre grâce à ma boussole. Je dois me diriger vers le Nord-Est afin d'atteindre le village de Keda par le nord. C'est donc sans surprise qu'en milieu de journée, m'en référant à la petite carte d'Adjara obtenue auprès de l'office de tourisme de Batumi, je traverse une route large mais finalement assez peu fréquentée par les automobilistes. Là, profitant des quelques points ombragés pour partager une bouteille, des hommes de tous âges sont rassemblés en trio tous les deux ou trois cent mètres. Tous m'interpellent et m'invitent généralement à partager leur boissons, m'informant du passage, quelques heures auparavant, de mes compagnons de voyage. Je décline poliment leurs invitations, préférant ne pas marcher à demi ivre en plein soleil, et opte peu après pour un itinéraire de substitution, de l'autre côté de la rivière que longe ce gros axe routier.

J'avance ainsi quelques dizaines de minutes sur des routes plus ou moins ombragées. Les rencontres se font plus rares. Je tâche de me référer toujours à ma boussole pour choisir ma direction à chaque intersection. Un camion-benne me dépasse alors, soulevant un nuage de poussière, et s'arrête quelques mètres plus loin. Le chauffeur ouvre sa portière et s'adresse à moi en russe. Malgré la barrière linguistique, je comprend qu'il m'invite à monter à bord pour me conduire à un monastère situé au bout de la route que j'arpente. Je décline sa proposition avec le sourire et me dit, alors que le camion repart, que ce lieu de retraite spirituelle pourrait peut-être mériter le détour. Je continue donc d'avancer pendant près d'une heure et, après l'ascension d'une piste en lacets, arrive devant ledit monastère. Là sont stationnés des véhicules de chantier et stockés des pierres et dalles partiellement taillées. Dans un opaque nuage de poussière, un homme s'affaire à façonner à la disqueuse les éléments du mur de l'église qui est en cours de rénovation. Il s'agit là d'une communauté de moines mettant en commun leurs savoirs-faire pour réparer le vieux bâtiment. Non loin du chantier, d'autres hommes s'occupent de la logistique, préparant le repas et assurant le lavage des vêtements utilisés par les travailleurs.

Je suis invité à prendre un verre d'eau fraiche (les moines ne doivent pas boire de chacha, sans doutes) et tente un peu de communiquer avec les religieux. J'essaie d'en apprendre un peu d'avantage sur leur sacerdoce, dans la mesure où, bien que l'église restaurée soit ancienne, les travaux de rénovation entrepris ont largement contribué à retirer du site l'atmosphère particulière que j'espérais trouver. Les moines m'apprennent alors qu'il existe un ancien sentier coupant à travers les collines et rejoignant la vallée de Khala, celle-là même que je suis sensé gagner pour atteindre Keda par le nord. C'est donc sans trop hésiter que je suis leurs indications en les remerciant pour leur aide. Ceux-ci s'empressent alors de me remettre une boite de lait concentré et un morceau de pain pour la route.

Je m'engage ensuite sur le sentier indiqué, escaladant dans un premier temps un gros rocher abrupte et bataillant sur une trentaine de mètres dans des ronces qui me dépassent toutes de trois bonnes têtes. Le sentier en lui même est assez distinct, serpentant entre de gros êtres, il reste plus ou moins sur le sommet de la crête et ondule gentiment d'une colline à l'autre dans des sous-bois ombragés. Je garde néanmoins un œil sur la boussole et lorsque le cap suivi devient trop éloigné de ce que je pense être le cap a suivre, je rectifie ma trajectoire en coupant à travers une ravine me ramenant dans le fond de la vallée. Je finis par gagner le lit d'une rivière que nous avions déjà croisé quelques semaines plus tôt avec Sylvain et Petra lors de notre escapade de trois jours. Conformément aux indications recueillies auprès des autochtones, je dois longer le cours d'eau sur quelques kilomètres avant de bifurquer sur la droite en direction de Khala.

La lumière commence à décroître et je scrute les environs à la recherche d'un endroit où passer la nuit. En contre-haut de rives je distingue plusieurs propriétés comparables a celle ou j'ai dormi la nuit dernière. Sans doutes irais-je tenter ma chance en frappant à une porte si aucune opportunité ne se dessine avant la tombée de la nuit. Je n'aime cependant pas trop forcer les choses, je préfère que tout découle naturellement.

Alors que je suis plonge dans ces réflexions et que je presse le pas sur la route de gravier cabossée, j'entends derrière moi une voix qui m'interpelle. Depuis la cours de sa maison, un homme me fait signe d'approcher. Par politesse, je répond a son invitation et m'accoude a la clôture grillagée qui encercle sa petite propriété. La maison est très modeste, sans étage et directement implantée sur le bas cote de la route. A l'arrière, dans la cour, un des fils fend des buches à la hache tandis que la mère de famille étend le linge qu'elle vient de laver. Juste à coté, protégé des poule par une palissade, un petit potager domine par un prunier renferme concombres et tomates.

Comme à l'accoutumée, l'homme que je déduis être le père de famille, m'invite a boire un verre de chacha. J'hésite un peu. Il commence à faire très sombre et cette famille ne semble vraiment pas rouler sur l'or. Je repère néanmoins un terrain presque plat juste après le potager et me dit que cela conviendrait bien pour y planter la tente. La communication n'est pas très aisée. Mon géorgien laisse à désirer et, d'après ce que j'ai compris, cette famille serait d'origine turque et s'exprimerait dans un géorgien marqué d'un fort accent. Les gestes et la persistance aidant, je comprend que mon hôte m'invite à prendre un bain. Sans doutes suis-je reste plus longtemps sans me laver par le passer, mais lorsque une opportunité se présente de prendre une douche, mieux vaut la saisir. C'est alors avec étonnement que l'homme m'invite à le suivre jusqu'à la rivière. Il semblerait que sa maison ne soit pas équipée d'eau courante et que tous les besoins en eau du ménage soient assouvis par la rivière voisine. C'est donc en caleçon, dans une rivière parsemée de détritus que j'effectue mes ablutions. L'homme m'invite à laver mes vêtements aussi, sans doutes les marques vertes d'herbe frottée sur mon pantalon auront-elle attiré son attention.

Une fois à peu près propre, je revêt les vêtements que mon hôte a mis à ma disposition le temps que mes habits sèchent et retourne avec lui dans la cour de sa maison. Jusqu'à tombée de la nuit nous discutons de tout et de rien. Je fais la connaissance de sa femme, de ses deux fils et de sa fille handicapée. Il m'explique qu'ils sont turcs, immigrés en Géorgie depuis plusieurs générations. Ils ne parle pas vraiment géorgien, et ne parlent plus vraiment turc, ce qui le place, selon eux, en marge de la société. A plusieurs reprises il me désigne d'un geste dédaigneux les murs de sa maison, montrant explicitement leur vétusté et la pauvreté dans laquelle ils vivent. Je sens un peu mal à l'aise de bénéficier ainsi de l'hospitalité d'une famille autant dans le besoin, mais ma présence semble vraiment le réjouir.

Quelques bougies sont allumées pour apporter à cette demeure sans électricité un peu de clarté et je continue de parler avec eux tandis que la mère de famille prépare le repas à partir de quelques légumes récoltés dans leur petit potager. Nous mangeons peu après et buvons un verre de thé alors que le canapé de l'entrée est transformé en lit pour l'invité que je suis. Les fils partent passer la soirée dans le village voisin et je reste seul avec les parents jusqu'à une heure tardive. Une toux violente du père de famille le gène assez régulièrement dans ses propos. Je n'ose pas vraiment le questionner au sujet de sa santé, mais je me dis qu'il n'a sans doutes pas les moyens de se soigner et que cette toux reflète peut être maladie pulmonaire sérieuse.

Le temps passe. Les fils rentrent finalement et peu après chacun va se coucher.

Dès l'aube, les coqs se mettent à chanter juste sous la fenêtre à côté de ma tête, restée ouverte pour la nuit pour tempérer un peu la pièce et évacuer la chaleur produite par le poêle à bois pendant la soirée. Je me réveille donc assez tôt et attend allongé que mes hôtes se réveillent à leur tour. Après une heure, le jour est levé et les parents se réveillent. La mère de famille entre et sort de la maison, transportant dans seaux d'eau pour l'usage quotidien. Les poules, profitant du moindre entrebâillement de la porte pour entrer dans la maison, sont chassée à coup de balais, mais reviennent à la charge à la première occasion.

Je reste jusqu'à ce que le petit déjeuner soit servi, récupérant mes vêtement secs et remballant mon sac à dos, et quitte cette maison après avoir remercié mes hôtes pour leur accueil.

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Je longe la rivière sur encore quelques centaines de mètres, dépassant une école et un par arboré, puis je m'engage sur une route perpendiculaire bordée de gros eucalyptus. Me voilà sur la route que je visais. Peu à peu la voie de rapetisse et se change d'avantage en piste qu'en route. Je franchis quelques localités et croises quelques habitants souriants. Je m'arrête un moment près d'un gros bâtiment qui semble dater de l'époque soviétique. J'engage la conversation avec des jeunes qui m'interpellent et rapidement un attroupement se fait autour de moi. Mes quelques mots de géorgien combinés aux timides connaissances anglophones des mes interlocuteurs me permettent de leur faire comprendre que j'effectue un voyage à pied. Dès lors, la nouvelle se propage dans les environs et l'on me dit que dans un moment, le maire m'invitera à prendre un café avec lui. En attendant, je suis convié à entrer dans le bâtiment et à prendre place sur un des sièges du théâtre situé dans le sous-sol.

Je ne peux résister à comparer ces installations, certes vétustes, à celles que nous avons en France et que j'ai pu utiliser lors de mes dernières années de vie professionnelle. Ici il ne reste plus grand chose pour monter un véritable spectacle, mais la scène et les fauteuils suffisent aux jeunes. Ils improvisent des concours de danse traditionnelle, garçon et filles confondus, au rythme joué par un de leurs amis sur un instrument à percussion typique de la région.

Après une petite heure, le maire vient me chercher et je monte avec lui au premier étage où son épouse a servi le café. Nous parlons un peu en anglais, puis je me remet en marche vers Keda. Un peu plus loin sur la piste des jeunes m'invitent à boire avec eux un peu de tchatcha au miel, spécialité des environs, et m'accompagne sur un « raccourcis » qui, finalement, n'en est pas vraiment un. Il me laissent poursuivre seul ensuite et c'est quelques kilomètres plus loin, près d'une fontaine d'eau potable, que je retrouve Sylvain Killian et Petra. Nous voyagerons ensemble encore quelques jours, jusqu'à ce que, à nouveau, notre groupe se scinde...
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